Digital Humanities : compte-rendu

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camille.jouneaux

Julie, Quentin, Safia et moi-même avons eu l’opportunité d’assister hier à la Conférence Digital + Humanities qui s’est tenue hier soir à la Cantine.

Le but était simple : sortir des considérations marketing et des problématiques de communication qui nous tiennent tant à coeur habituellement pour observer l’univers des médias sociaux par le prisme des Sciences Humaines. On nous explique en effet en guise d’introduction que la recherche a changé, notamment dans ce domaine, grâce à internet qui offre par exemple un accès démocratisé à la connaissance. C’est à ce titre que nous avons eu l’occasion d’écouter chercheurs et spécialistes nous conter chacun leurs apprentissages sur le rapport à soi, aux autres, à l’information et au savoir plus globalement.

Nous avons eu la chance d’entendre Julien Mendoza, doctorant en économie, nous exposer ses conclusions sur les incitations au dévoilement des informations personnelles, sujet ô combien central dans nos débats quotidiens et ô combien mis en lumière par l’arrivée de Google+ vs. Facebook et ses nébuleuses règles de « privacy ». Julien nous parle alors du paradoxe qu’il a soulevé au travers de recherches : les internautes protègeraient leurs données pour moins cher qu’ils ne les vendraient car l’illusion de contrôle induite par la vente de telles informations joue sur la valeur des données communiquées. Ainsi lorsqu’on applique cette problématique aux réseaux sociaux, on peut se demander quels sont les leviers qui inciteront à dévoiler des données personnelles ? Toujours selon les investigations de M. Mendoza, il y a deux leviers majeurs qui permettent cela : la notion de gain et le cadre ludique sont deux éléments qui inciteraient à délivrer des informations personnelles. Ces conclusions sont en effet très en ligne avec les bonnes pratiques des médias sociaux où les marques s’inscrivent dans un échange et doivent apporter de la valeur, que ce soit sous la forme d’un « reward », d’un contenu amusant, intéressant… si elles souhaitent s’engager de manière pertinente auprès de leur communauté.

Nous avons ensuite écouté Stéphane Hugon, Docteur en sociologie et chercheur au CeaQ, évoquer la construction de l’identité de l’internaute par rapport à son réseau. Le chercheur s’est tout d’abord permis une jolie digression pour faire le pont entre marketing et Sciences Humaines, expliquant que tout utile et fonctionnel qu’un objet pouvait être, il n’avait de sens qu’en étant chargé d’une dimension symbolique, rituelle ou relationnelle. Nous nous sommes ensuite penchés sur la construction de l’identité en ligne qui se fait, selon Stéphane, par le regard de l’autre dans un territoire communautaire donné. Là encore l’impact sur nos métiers est intéressant : nous abordons les consommateurs de manière individuelle et rationnelle alors qu’en ligne, nous les interrompons dans des conversations, dans des contextes communautaires qui forment un ensemble auquel l’individu appartient. Compte tenu de cela, il ressort qu’on ne peut jamais obliger un consommateur à faire quoi que ce soit, mais au maximum se mettre à sa hauteur, ce qu’il est bien sûr possible de faire au travers une stratégie conversationnelle, en opposition aux stratégies « top-down » du marketing traditionnel où la marque se place au-dessus du consommateur.

Après ce focus sur l’identité, Dominique Boullier, professeur des Universités en sociologie à Sciences Po, s’est penché sur notre rapport à l’information, rappelant qu’aujourd’hui le nerf de la guerre était la captation de l’attention d’un individu sans arrêt sollicité et dans l’obligation d’hésiter entre deux options qui le conduisent soit à rester captif ou, au contraire, à bousculer ses habitudes. Une hésitation que le professeur estime cruciale puisqu’elle se joue à peu de choses et qu’elle implique pour ceux qui réclament l’attention de l’individu un jonglage permanent entre la nécessité de « frapper un grand coup » pour recruter ou au contraire de continuer à alimenter une audience dans la durée pour la garder captive. Inutile ici d’étendre le propos aux médias sociaux, vous m’aurez compris.

Enfin, Patrice Flichy, chercheur et professeur de sociologie à l’Université de Marne-la-Vallée et auteur des ouvrages « L’imaginaire d’Internet » et « Le sacre de l’amateur : Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique », nous a exposé une réflexion particulièrement intéressante sur ce nouveau rapport à la connaissance, induit par Internet, et qui a conduit au « sacre de l’amateur » au sens de passionné. En effet, la démocratisation du savoir fait du passionné un « expert par le bas », autrement un individu qui base ses connaissances sur l’expérience, redonnant à la notion d’expertise son sens premier. Ceci s’inscrit en opposition à l’expert « par le haut », celui qui détient son savoir et ses connaissances d’une instruction académique. On note alors que cette expertise peut s’avérer déstabilisante, car on assiste aujourd’hui à des configurations au sein desquelles ces experts empiriques sont alors en mesure de débattre avec les spécialistes. Le cas du « fan » est particulièrement intéressant puisque celui-ci est capable de s’approprier un contenu pour le détourner ou le reproduire au second degré. Une fois de plus, pour faire le parallèle avec les stratégies adoptées au sein des médias sociaux, il n’y a qu’un pas : les marques doivent accepter de ne pas tout maîtriser et doivent apprendre à laisser leurs contenus aux mains de leurs fans qui pourront alors complètement se les approprier ; elles seront ainsi en mesure de créer des liens forts avec leurs communautés.

Après ces brillantes interventions, le mot de la fin fut donnée à Etienne Candel, maître de conférence au CELSA, qui nous a expliqué que le prisme de la technologie conférait aux individus une image curieuse, différente de celle qu’ils possèdent offline et que le rêve de tout marketeur serait de percer ce mystère, d’où la nécessité de remettre en perspective marketing et Sciences Humaines. Après tout, quand nous écoutons les individus, nous sommes tout d’abord dans l’étude de leurs usages et quand nous leurs apportons une réponse au nom d’une marque, que ce soit sur Facebook, Twitter ou autres, faisons-nous du marketing, de la communication, de la psychosociologie, de la linguistique… ? Un peu de tout ça, et bien d’autres choses encore…

Un grand merci à Cyril et Maud de Curiouser pour avoir brillamment organisé et orchestré cette conférence.