Le like, fonctionnalité anodine ou nocive de notre époque ?

Thought Leadership

par Jean-Baptiste Bourgeois, planneur stratégique chez We Are Social

Réfléchir à la dimension nocive du like, c’est d’abord arrêter de se mentir et revenir au comportement que l’on partage tous sur les réseaux sociaux, difficile à avouer mais nous avons tous le même réflexe : se comparer. Chaque jour quand on voit les publications d’influenceurs ou de nos amis on a forcément un réflexe de comparaison : est ce que je suis autant heureux en amour que mon pote du lycée ? est ce que j’ai vu autant de paysages dans ma vie que ce blogueur qui aurait pu être moi ? et surtout est-ce qu’autant de gens que lui ou elle m’aiment ? Cet indicateur d’amour est comptabilisé par le nombre de likes qui s’affiche fièrement et publiquement sous chaque publication. Forcément voir le nombre de likes sur une publication d’un autre nous donne le réflexe de le comparer avec le sien. C’est cette dimension d’indicateur d’amour, d’unité de mesure de la popularité d’un individu social qui a forcément un côté nocif.

La décision d’Instagram

C’est en fait ce que dit officiellement Instagram. Le but de la suppression d’un compteur de like est fait, selon la plateforme elle-même, pour réduire la pression sociale (tout court) et augmenter le confort de scroll des utilisateurs. Sûrement aussi parce que pour de plus en plus de gens, la méta d’Insta (comme on parle de la meta d’un jeu-video*) évoluait dans le sens d’une quête permanente d’attention et d’amour faite au détriment de la simple quête de partage de photographies ultra esthétisées. Parce que oui, c’est bien ça l’ADN du réseau et dans nos plus lointains souvenirs on avait d’abord téléchargé cette appli pour se sentir soi-même devenir un photographe de talent grâce à 3 filtres vintages, mais ça c’était avant.

Il ne faut pas oublier pour autant le bon côté du like : dans sa fonction de pouvoir interagir / de pouvoir adouber, encourager, féliciter en un clic ou en un double tap la photo qu’on voit passer. Cette valeur d’alerte du like, elle, continuera d’exister et cette fonction, elle, n’est presque pas nocive. On peut et on pourra toujours “laisser un like” pour envoyer une notification à quelqu’un “Valentine a aimé votre photo” – donc pour simplement dire à quelqu’un « j’ai aimé ton contenu » dans l’espoir de se faire remarquer, d’être aimé en retour, voir même d’être à son tour suivi.

Si la probable mise à jour à venir d’Instagram nous prive des likes, elle nous privera seulement de la somme totale récoltée par les autres, ce qui signifie que notre compteur personnel sera toujours affiché sur notre profil. Il y a donc véritablement une volonté de la plateforme d’être moins nocive et d’échapper à la comparaison sociale systématique qui participe en partie à un effet de dépression pour ces 90% d’utilisateurs qui comme vous et moi ont finalement une vie tout à fait banale comparée à celle de Kylie Jenner ou de Dan Bilzerian.

Et c’est cette réalité du like qui, en extrapolant, est devenu l’unité de mesure de la réussite de notre vie qui pousse de nombreux utilisateurs à mettre en scène leur  quotidien pas si extraordinaire de manière à le rendre plus spectaculaire, plus beau, plus drôle… presque autant excitant que celui des influenceurs-stars de la plateforme, c’est malheureux et c’est nocif.

Un like peut en cacher un autre

Prenons la manière dont le like est construit sur Twitter, c’est bien différent. Parce qu’ici le like nous permet de montrer aux autres – à notre communauté – le contenu qu’on a apprécié. En effet, liker un tweet c’est savoir pertinemment qu’il va s’afficher dans la timeline de notre communauté avec la simple mention disant “Fabien, a liké ce contenu”. Le like est donc toujours une manière de construire son identité virtuelle mais en disant simplement aux autres “voilà ce qui me définit en tant qu’individu social media”, “voilà ce que je consomme” je vous montre “ce qui me fait rire / ce qui me fait pleurer” c’est une manière de se positionner par rapport aux autres. Une dimension beaucoup moins nocive que celle d’Insta en l’occurrence.

Le like a des fonctions bien différentes en fonction des plateformes et un like peut en cacher un autre. Même s’ils n’en sont pas conscients les gens les utilisent à chaque fois pour servir leur propre intérêt de construction d’une autre identité – leur avatar sur ce réseaux – leur double social (media) sur un autre.

YouTube est elle aussi une plateforme qui fonctionne au like. Ici on est plus dans une version “Empire Romain” où on offre au consommateur d’un contenu vidéo le droit de « valider » – pouce en l’air ou de « condamner » un contenu – pouce vers le bas. Là où ce like a lui aussi sa propension à être nocif c’est qu’ici le nombre de pouces en l’air récolté sur un contenu va permettre progressivement à ce dernier d’être potentiellement promu sur la page trending de la plate-forme et donc d’être identifié comme « le contenu populaire a voir aujourd’hui sur YouTube ».On sait alors que comme dans les spectacles de la Rome antique c’est celui qui en fera le plus – qui nous divertira le plus quitte à aller jusqu’à essayer de s’envoler à l’aide de ballons gonflés à l’hélium comme dans “Là-Haut” en vidéo. Tout ça pour quoi ? Pour réussir à percer jusqu’en trend et donc de récolter un maximum de vues qui cette fois sont directement associées à la valorisation monétaire de ce contenu.

Le like est donc une fonctionnalité intrinsèque à chaque plateforme. C’est un postulat de départ au principe de réseau social. Philosophiquement il est bien souvent la cause de la nocivité de notre surconsommation social media, le voir progressivement disparaître ou être minoré est une vraie révolution.

* meta (jeu-video) :  l’ensemble des stratégies et des méthodes qui ne sont pas explicitement prescrites par quelque règle que ce soit, mais qui résultent de la seule expérience des joueurs.