QUELLE SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR L’APRÈS CORONAVIRUS ?
Cet article a été rédigé par We Are Social en partenariat avec Talkwalker. Talkwalker est un outil de veille qui permet une écoute et une analyse du web et des réseaux sociaux.
L’analyse prospective menée ci-après est basée sur les conversations évoquant la crise du coronavirus en France et en français, toutes sources confondues (médias, blogs, forums, réseaux sociaux, etc.) sur la période du 12/03/2020 au 30/03/2020.
Par Anthony Boucharel et Félix Rauturier
“Un coup d’arrêt puissant, massif, brutal” : c’est par ces mots qu’Edouard Philippe a décrit l’impact potentiel de la crise du coronavirus sur l’économie française. Les français semblent l’anticiper, 55% d’entre eux pensent que la crise aura un impact conséquent sur l’économie de leur pays. Alors si certains utilisateurs étudient la situation au jour le jour, d’autres, notamment des experts, des intellectuels, des “sachants”, prennent la parole dans les médias pour imaginer le monde après le confinement, la crise, l’épidémie. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik évoqua sur France Inter que selon lui, “après chaque catastrophe, il y a un changement de culture”. Un changement de culture qui s’accompagne de profondes transformations. Après la seconde guerre mondiale, le plan Monnet a posé les bases de la modernisation des structures économiques de la France, la sécurité sociale vit le jour et, à l’échelle internationale, l’Organisation des Nations Unies fut créée.
Il est donc légitime de réfléchir et d’analyser quels pourraient être les changements induits par cette crise sanitaire mondiale. Nous avons analysé les conversations autour des réflexions, de la perception, des usages et comportements autour de « l’après-crise », en allant chercher des pistes de réponse sur la prise de conscience de l’impact et sur les industries qui pourront bénéficier de la reprise. Chacun à sa manière évoque ses envies et sa vision de l’après confinement.
1/ LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE : UN SUJET ENCORE PEU ABORDÉ
Si plus d’1 400 000 mentions évoquent la crise du coronavirus depuis le 12 mars dernier, seules 70 000 traitent de l’impact de cette crise et de l’après COVID-19 (soit 5%). Les conversations ont augmenté à partir du 16 mars et l’annonce du confinement en France. Malgré le confinement et une sur-connexion, les week-ends restent un moment moins propice aux conversations en ligne.
Au sein de ces conversations émergent de nombreux sujets, dont la propension à être discuté est contrastée. Les plus discutés sont des sujets économiques, sanitaires, environnementaux et liés à l’éducation, que nous allons détailler ci-après. Le contraste s’affiche également au sein des typologies de sources. Les médias en ligne, prenant conscience des changements que la crise pourrait engendrer, traitent des sujets de fond et de l’impact à moyen et long terme. Les réseaux sociaux révèlent quant à eux une vision sur le court terme, liée à la vie quotidienne des internautes et aux manques éprouvés durant cette période.
Répartition des conversations par thématique durant la période analysée
Une diminution notoire de l’activité économique française
“Un mois de confinement ferait perdre 3 points de PIB à la croissance annuelle française” (INSEE). De tels chiffres permettent de comprendre pourquoi ce sujet est l’un des plus discutés en ligne (20 000 mentions) : l’économie concerne tout le monde. La nationalisation (2 100 mentions) est évoquée par les politiques comme un levier pour “protéger notre patrimoine industriel”. Des secteurs stratégiques et des entreprises comme Famar et Luxfer, respectivement fabricant de nivaquine et d’oxygène médical sont par exemple citées. Plus de 700 mentions ont évoqué les dividendes, et le cas d’Airbus par exemple, qui ne rémunérera pas ses actionnaires, profitant ainsi d’une économie de près d’1,5 milliard d’euros. Enfin, les médias traditionnels ainsi que des sites liés à des partis politiques comme Révolution Permanente (lié au NPA) ont discuté des modalités de la loi d’urgence sanitaire (1 000 mentions), notamment de l’augmentation du temps de travail ou de la fixation des congés payés et des RTT. Certaines entreprises, comme LVMH qui a su réorienter sa production, pourraient néanmoins être moins impactée par cette crise.
Au vu des conversations, l’attente se trouve désormais dans une nouvelle appréhension des dogmes économiques : faire du “Made in France” un vrai mode de consommation et plus seulement un slogan/label. Les relocalisations d’activités sont même plébiscitées pour retrouver une certaine indépendance et le terme “souveraineté” est également prononcé par des politiques comme Jean-Luc Mélenchon. Le critère “français” sera, dans les mois à venir, un élément déterminant pour relancer l’économie et les marques ont tout intérêt à le saisir, pour deux raisons. La première est évidemment économique quand la deuxième est réputationnelle : elles apparaîtront comme solidaires et montreront qu’elles ont compris l’urgence et pris en considération les changements qu’une telle crise implique.
L’environnement : un maillon central pour bâtir le futur
Conséquence directe de la baisse d’activité, les médias français n’ont pas manqué de souligner la réduction des émissions de CO2 dans l’hexagone (7 700 mentions). Alors que les internautes avec une vision court-termiste reconnaissent un point positif pour la planète, soulignant une « pause » bénéfique pour la Grande Bleue, les experts environnementaux et climatologues préfèrent parler de “répit” ou de “situation temporaire”. En effet, ces personnes redoutent que cette crise soit une “catastrophe pour le climat à long-terme”. La forte relance économique en prévision en est la principale raison. Conscient de ces dangers, des organisations politiques, syndicales ou associatives appuyés par des experts et des climatologues commencent à monter au créneau. Cette “coalition” prône une relance économique couplée à une “transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité, de la santé et de la justice sociale”.
Un système de santé en souffrance mais fortement soutenu par les français
Acteur majeur et engagé âprement dans cette “guerre sanitaire”, le système sanitaire français est au coeur des conversations (16 300 mentions) et des interrogations. Celles-ci se concentrent sur les capacités humaines, matérielles et logistiques de notre système de santé à faire face à ce virus meurtrier. Rapidement, des témoignages de soignants en “colère” sont venus alimenter ces interrogations, avançant des moyens et “des stocks limités” pour endiguer l’épidémie.
Conscients du sacrifice du personnel médical en “première ligne”, des mouvements solidaires ont été lancés sur les réseaux sociaux (#OnApplaudit : 68 600 mentions dans les conversations totales autour de la crise). De nombreux internautes reconnaissent l’utilité de ces “héros du quotidien”, mais les voix s’élèvent au sein de ses professions afin que leur combat ne soit pas oublié à la sortie de cette période. Ces paroles rejoignent les propos de Dominique Méda, philosophe et sociologue, affirmant qu’il est “urgent de réétudier la « hiérarchie » sociale des métiers” à la sortie de cette crise.
Ainsi, des responsables sanitaires montent au créneau pour insister sur l’importance de “repenser l’organisation de notre système de santé”. Le principe de précaution, initié par Roselyne Bachelot en 2009 après l’épidémie de grippe H1N1, pourrait refaire surface afin d’anticiper les futures crises sanitaires et répondre immédiatement aux besoins matériels d’une telle situation.
Autour de l’éducation, des inégalités et un changement de perception
L’impact sur le système éducatif est également en ligne de mire (6 800 mentions). Douze millions de jeunes français suivent les cours à distance, excepté 5% qui n’ont pas accès à internet (France Inter). Même contraste pour les parents, qui pourront suivre le parcours éducatif de leurs enfants s’ils sont concernés par le télétravail ou non. Le Ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, a d’ores et déjà estimé que “5 à 8 % des élèves” ont été “perdus” au cours des deux premières semaines de confinement.
Cette nouvelle manière de concevoir l’école pourra également servir à redorer le blason de cette institution dans les prochaines semaines, chacun se rendant compte que l’enseignement est un métier exigeant et difficile. L’accès au contenu pédagogique, déjà initié par les médias publics comme France TV avec l’émission Lumni, sera certainement l’une des sources potentielles d’évolution de l’éducation après cette crise du coronavirus.
Une situation inédite appelant à des innovations dans le secteur du numérique
Le confinement actuel et les changements qu’il implique, notamment dans le secteur de l’éducation et du travail pourrait amener la France à accélérer la digitalisation de la société et faire changer les usages (3 000 mentions). L’économiste Daniel Cohen évoque même que la crise actuelle pourrait être “un accélérateur du capitalisme numérique”. Des articles s’appuient sur l’exemple de la Chine et soulignent que le virus pourrait faire “progresser de 50% l’éducation en ligne” au sein de l’Empire du milieu. Il en est de même en France où nous pourrions assister à une restructuration des cours, notamment dans l’enseignement supérieur.
Néanmoins, ces nouveautés ne seront pas possible sans la mise à niveau des structures de réseau, permettant ainsi d’amplifier les travaux pour démocratiser l’accès à la fibre voire à Internet. Le confinement, imposant une certaine forme de distanciation physique, pourrait tendre à démocratiser le télétravail dans les années à venir et supprimer certains déplacements professionnels. Le système de santé pourrait continuer l’expérimentation de la télémédecine et démocratiser aussi cette pratique, dont les consultations ont été multiplié par 100 depuis le début de l’épidémie. La communication par visioconférence, également sollicitée au cours de cette période de confinement par les internautes en quête de pallier la distance physique avec leurs proches, pourrait se démocratiser au sein des foyers. Les médias approfondissent eux aussi leur pratique des outils numériques : Le Monde a créé un fil de discussion Whatsapp, où les utilisateurs qui le souhaitent peuvent recevoir informations et articles vérifiés.
Réseaux sociaux et médias : une dichotomie dans la projection
Les conversations que nous avons analysées montrent une réelle différence d’appréhension de la situation post-confinement entre certains utilisateurs des réseaux sociaux et les médias notamment.
Ces derniers ont une vision à moyen voire long terme en commentant et analysant la situation actuelle afin de mesurer quels seront les impacts et les changements à l’échelle du pays. En invitant des intellectuels ou des experts, ils partagent une vision plus globale et collective de ce que pourrait devenir la société française dans les mois à venir.
Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs évoquent quant à eux, l’après coronavirus au prisme de leur situation personnelle. “Quelle est la première chose que tu vas faire après le confinement ?” : cette question a été posée dans une centaine de tweets et de stories Instagram à travers l’utilisation du stickers question. Les réponses sont très souvent similaires, pour nombre d’utilisateurs, la période post-confinement reviendra à reprendre les actions qui manquent actuellement à leur quotidien (fast food, football, retrouver leurs proches, etc.). En soit, leur retour à une vie normale. L’utilisation de memes, d’images ou de vidéos est également plébiscitée pour illustrer et appuyer leurs paroles.
2/ D’APRÈS LES CONVERSATIONS, LES INDUSTRIES RÉPONDANT AUX “BESOINS PRIMAIRES” POURRAIENT PROFITER DE L’APRÈS CONFINEMENT
Les vacances et voyages ne sont pas encore évoqués dans les conversations
La partie précédente, souligne à quel point les internautes utilisent les réseaux sociaux pour partager les manques qu’ils ressentent. Les plateformes sociales sont pour eux une manière de se projeter dans l’après et d’évoquer quelles seront leurs premières activités une fois la situation revenue à une certaine normalité. Afin d’en déduire les secteurs ou industries pouvant profiter de la reprise économique au cours des prochains mois, les conversations analysées ont été illustrées au travers d’un graphique inspiré de la pyramide de Maslow.
Pyramide imaginée par We Are Social
Après le confinement, les besoins physiologiques seront probablement les premiers à être assouvis. Les fast food seront parmi les premiers endroits sollicités d’après les conversations (26% des conversations sur Twitter font référence à lieux de restauration). Les rapports sexuels augmenteront certainement, la distanciation sociale et le confinement ayant créé un éloignement physique pour de nombreuses personnes en couple par exemple. Les salons de coiffure ou d’esthétique sont également, toujours d’après les conversations, l’un des lieux où se rendront en premier les utilisateurs. Les secteurs de la cosmétique et de l’habillement pourront également profiter de cette période (vêtements pour la nouvelle saison, etc.).
Viennent ensuite les besoins d’appartenance. Dans ses premières semaines de “liberté”, le secteur de la restauration pourrait bénéficier de la recrudescence des moments de retrouvailles. En effet, les français vont renouer le contact physique avec leur famille ou leurs ami(e)s après de longues semaines de confinement. Et de nombreux utilisateurs évoquent leur volonté de passer des moments de convivialité ensemble. La saison estivale peut aussi être un facteur accentuant ce besoin de recréer du lien social.
Concernant les besoins d’accomplissement, les conversations indiquent, par leur faible nombre, que les utilisateurs n’ont pas encore l’esprit aux vacances. Les secteurs du sport (évènement, salles de sport, etc) et de la culture (cinéma, théâtre, concert, festival, etc) pourraient aussi pâtir de la situation. Concernant les évènements sportifs en particulier, 66% des français estiment que l’intégralité des compétitions doivent être reportées jusqu’à la fin de la pandémie. Or, des fédérations réfléchissent d’ores et déjà à jouer des matchs à huis-clos.
Sur les réseaux sociaux, des influenceurs sondent leur communauté sur ce qui leur manque en cette période de confinement. C’est le cas du youtubeur “Le Roi des Rats” (255K followers sur Twitter et 1,2M d’abonnés sur YouTube). Les 4 000 réponses à son tweet illustrent parfaitement les besoins des français à l’heure actuelle.
A gauche, les principaux mots clés par occurrence. A droite, les principales marques mentionnées.
Parmi les éléments les plus présents dans les réponses, plusieurs termes se réfèrent aux besoins primaires (notamment autour de l’alimentation) et au premier cercle relationnel (amis, famille). Certaines sorties sont mentionnées, celles permettant de trouver inspiration, plaisir ou accomplissement (comme le cinéma, la salle de sport, les balades au soleil, etc.). Les relations ne représentent pas uniquement un manque au prisme des relations sociales. Les relations sexuelles font également partie des manques soulignés. Le football apparaît également comme un vecteur social dont le manque est important.
Certains de ces éléments sont appuyés par des marques. Si certaines sont liées à des réponses ironiques et humoristiques, d’autres reflètent certains manques précédemment cités. Parmi les besoins primaires autour de l’alimentaire, nous retrouvons des marques de fast-food, comme McDonald’s, KFC ou encore Burger King. Les industries du loisir culturel et du divertissement, à travers la FNAC, Amazon ou encore Pokemon Go et Animal Crossing, sont également bien représentées.
Une nouvelle page de l’Histoire ?
De grands changements sont donc à prévoir, et de nombreux secteurs pourront profiter de l’après crise, à des échelles et des rythmes différents. Certains sujets, comme celui de l’environnement, semblent actuellement faire consensus : le confinement a un impact positif pour la planète. Néanmoins, que sera-t-il de cette unité lorsque la réalité reprendra ses droits après des semaines de crise ? Des conversations soulèvent déjà de nombreux sujets critiques auxquels des réponses seront attendues. Ce sont autant d’éléments qui pourront fissurer l’unité affichée autour de certains sujets.
Ces crises permettent une respiration, une prise de recul, où chacun comprend et constate que le monde tel qu’il existe aujourd’hui arrive à une certaine fin. Alors, beaucoup y voient l’occasion d’écrire un nouvel ouvrage, base d’un nouveau monde, qui palliera à tous les manquements constatés du précédent.
Néanmoins, la réalité rattrape souvent trop rapidement l’utopie du changement, et viennent poindre à l’horizon, les premiers signes d’une lente transformation. Apparaissent les premières décisions pour limiter l’hémorragie que la crise aura causée qui viendront remettre à plus tard les volontés de nouvelle ère. Si une crise arrive parfois subitement, ses conséquences et les réponses à y apporter nécessitent, elles, un temps long. Même la meilleure volonté ne permet pas l’accélération ou le bond temporel. Tout comme les français n’ont, pour l’heure, la tête qu’à la fin du confinement et au comblement des manques ressentis, le changement devra lui aussi apprendre à avancer étape par étape.
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Sources article :
1* – GWI Coronavirus Research | March 2020 Release 3: Multi-market research
2* – D’après le baromètre Edelman “Trust and the coronavirus”, 79% des français attendent que les entreprises combattent le virus et 34% attendent une coopération entre les entreprises et le gouvernement pour lutter contre le COVID-19
3* – GWI Coronavirus Research | March 2020 Release 3: Multi-market research : “plus d’un français sur quatre déclare avoir retardé ses vacances suite à la situation de crise sanitaire actuelle.”