Par Mobbie Nazir, Chief Strategy Officer, We Are Social UK

Au coeur de la crise Covid-19, et tandis que la plupart d’entre nous vivent des vies différentes d’il y a quelques semaines, il est difficile de ne pas se demander quels en seront les effets à long terme. Il se pourrait même que la distanciation sociale soit des nôtres jusqu’en 2022. Quelles sont les nouvelles habitudes qui persisteront ? Quel est l’avenir de la vie de bureau ? Quel en sera l’impact sur les jeunes générations ?

Il serait malvenu de faire des prédictions précipitées et radicales – mais il est tout de même  intéressant de réfléchir aux possibilités qui s’offrent à nous. Pour ceux d’entre nous dont le travail consiste à développer l’image de marques, il est particulièrement important de réfléchir à ce que le passage massif actuel à la vie digitale signifie. Il s’agit notamment d’examiner les changements que nous avons déjà observés et d’anticiper les nouvelles normes et valeurs qui persisteront, et celles qui finiront par être abandonnées.

Quels ont-été les changements observés jusqu’à présent ?

Pour les consommateurs du monde entier, le confinement a entraîné une augmentation instantanée du temps passé à consommer des médias chez soi, qu’il s’agisse de l’utilisation d’un smartphone, de regarder la télévision ou des services de streaming. Par ailleurs, nombreux sont ceux ayant créé et téléchargé davantage de contenu vidéo.  

Selon la dernière mise à jour de notre Rapport du Digital 2020, pour beaucoup de personnes, passer plus de temps en ligne revient à passer beaucoup plus de temps sur les réseaux sociaux. En attendant, il semblerait que les récentes réactions à l’encontre de Facebook, Twitter, Instagram – et les géants de la tech en général – se soient en grande partie atténuées. En cette période, ces derniers tentent de revenir à leur objectif initial – à savoir rassembler les gens entre eux, grâce à des vidéos virales réconfortantes et à des connexions virtuelles favorisant l’entraide, comme les groupes de soutien local sur Facebook pour lutter contre le Covid-19.

Les plateformes sur lesquelles fleurit le format “Challenge” ont vu leurs chiffres grimper considérablement  – TikTok a connu un pic d’utilisateurs et de téléchargements, de nouveaux publics découvrent Twitch, dont les vues ont augmenté de 24%, et les familles se connectent sur Houseparty, qui a enregistré 50 millions d’inscriptions supplémentaires au cours du mois dernier. Les livestreams de toutes sortes se multiplient sur YouTube et Instagram, allant du tuto pour confectionner son propre masque jusqu’aux sessions d’entraînement de votre coach sportif préféré.  

Il a également été constaté que des gens ont été contraints d’améliorer leurs connaissances techniques et d’expérimenter de nouvelles plateformes. Bien qu’il soit peu probable que les appels Zoom remplacent définitivement les traditionnelles réunions de Noël, il sera intéressant de voir laquelle de ces tendances se maintiendra à long terme.

La réponse des marques

Beaucoup d’entreprises ont subi d’incroyables transformations de leurs produits et services pour contribuer à l’effort des professions au front ou pour continuer à nous nourrir – on peut penser par exemple à l’équipe de Formule 1 de Mercedes qui développe des ventilateurs pour les hôpitaux, et à tous ces restaurants et grossistes alimentaires qui s’adaptent en proposant des services de livraison à domicile.

Sur les réseaux sociaux, on constate un changement dans la façon dont de nombreuses marques utilisent leurs canaux sociaux – observation soulignée dans notre rapport « Do The Right Thing« . Cette dernière témoigne de la capacité de ces plateformes à s’adapter efficacement à des situations en constante évolution : on relève notamment une prise d’importance du rôle du social dans la gestion des communautés et du service clients, et particulièrement pour les marques fournissant des services essentiels comme les banques et le secteur de l’énergie. 

Pour les marques des catégories dites “non essentielles”, l’accent a été mis sur le maintien de l’engagement du public, pariant tantôt sur l’utile, tantôt sur le divertissant. En guise d’exemple, Audi a créé un film TV de quatre heures, simulant une virée en voiture à travers les paysages d’Australie, et Chipotle organise des déjeuners virtuels avec des célébrités sur Zoom. 

La façon dont les marques travaillent avec les influenceurs a aussi changé.  On peut relever l’exemple d’Estée Lauder qui, en Chine, fait de ses vendeurs en magasin des “talents conseillers” en ligne. D’autres marques collaborent avec des influenceurs afin de promouvoir des bonnes habitudes en quarantaine; parmi elles, la marque Dakine a lancé une campagne intitulée Mind Surfing, qui met en avant la manière dont ses partenaires athlètes font face au confinement de manière responsable. 

Quelle évolution envisager pour le rôle du “social” post Covid-19 ?

Au moment où nous écrivons ces lignes, il est impossible de savoir exactement ce que nous réserve “le post-covid”, et encore moins quand il aura lieu. Des pressions sont déjà exercées pour assouplir les restrictions en matière de confinement, mais il n’y a tout simplement aucun moyen de prédire à ce stade quand nous pourrons revenir à quelque chose s’apparentant à la normalité – ou combien de temps durera l’inévitable récession et quelle sera son ampleur. 

Mais en tant que professionnels du marketing, il est prudent pour nous d’observer ce qui change, d’examiner les leçons du passé et de faire des hypothèses sur ce qui pourrait arriver.

Une volonté accrue de préférer des alternatives en ligne et sociales 

Les perturbations provoquées par la crise du Covid-19 et la situation de confinement pourraient-elles avoir des effets durables sur nos habitudes ? A titre anecdotique, oui. Les comportements liées au sport en sont un bon exemple. Alors que les gymnases sont fermés, les coachs sportifs ont imaginé de nouveaux moyens de s’entraîner à la maison avec un équipement limité et les partagent, souvent gratuitement, sur les réseaux sociaux. Les gens s’inscrivent également à l’application Nike Club Training.  Il n’est pas difficile d’imaginer que, même lorsque les salles de sport rouvriront, les gens seront prêts à payer pour avoir accès à leurs cours préférés depuis chez eux. D’autant plus que, avec la crainte permanente d’une infection, ils devront être convaincus qu’il y a une bonne raison de reprendre leurs activités telles qu’ils la pratiquaient avant la quarantaine.

Les actions des marques plus scrutées que leurs paroles  

C’est peut-être une prédiction plus optimiste qu’effective, mais après le coronavirus, nous serons en mesure de voir quelles marques ont été à la hauteur de leurs prétentions. Des sites web comme DidTheyHelp.com ont été créés pour suivre les actions des entreprises et des particuliers (Et oui, les influenceurs, cela s’applique aussi à vous). 

Les marques avant-gardistes constatent que leurs actions visant à apporter une valeur ajoutée pendant la crise – même celles qui sont menées de manière totalement altruiste – ont un impact positif sur la façon dont elles sont perçues. Regardez des marques comme Deliveroo, qui soutient le personnel du NHS par des remises et des dons, ou le système de cartes-cadeaux de Budweiser pour aider à sauver les pubs britanniques. Toute marque qui décide de clamer son utilité après la crise doit savoir que la communauté des internautes et des médias sociaux aura accès aux données pour pouvoir les juger sur ses actions passées.

Le streaming en direct peut devenir une partie intégrante de notre expérience de divertissement 

Les expériences en face à face ne pourront jamais être remplacées par des alternatives en ligne. Les universités et les écoles, les musées et les zoos – tous ces établissements se précipiteront à nouveau pour agir lorsque les mesures de confinement seront assouplies. 

Mais le fait d’avoir été contraint de vivre des expériences en direct au lieu d’expériences physiques a peut-être changé la volonté de nombreuses personnes d’en faire un élément plus régulier de leur programme de divertissement, au même titre que la réalité. Surtout si les budgets sont serrés ou si les gens mettent un certain temps à se sentir à l’aise à l’idée d’un rassemblement de masse. 

On peut déjà en voir la preuve en Chine, qui, au moment où nous écrivons ces lignes, a assoupli les règles d’éloignement physique. Mais au lieu de se précipiter vers les cinémas et les boîtes de nuit, les gens se contentent d’expériences virtuelles – la tendance à la diffusion en direct de DJ sets n’a pas disparu du jour au lendemain. Nous constatons déjà que, dans certains cas, les gens sont prêts à payer pour avoir accès à des divertissements en ligne ; si la distanciation sociale continue à être en place à plus long terme, ceci pourrait être un domaine de croissance. 

Des stratégies sociales à moyen-terme

Il est fort probable que le monde ressentira l’impact économique de cette crise pendant un certain temps. En période de récession, les consommateurs ont tendance à suspendre leurs achats et à surveiller leurs dépenses. Cela ne signifie pas que les marques peuvent se permettre de réduire leurs budgets marketing ; des études montrent que ceux qui investissent dans la publicité pour la création de marques pendant les récessions en sortent plus forts. Pendant cette période, les marques ont la possibilité d’expérimenter le social comme canal de construction de la marque. Pour beaucoup, il n’y a plus d’autre choix. Nous avons toujours cru au pouvoir du social pour la construction de la marque, mais en 2019, de nombreuses marques ont admis qu’elles étaient trop axées sur l’utilisation du numérique pour obtenir des performances à court terme plutôt que sur la construction de la marque à long terme. Ce que nous verrons sur les médias sociaux, c’est une plus grande concentration sur la construction de la marque par rapport aux tactiques de performance à court terme, car les marques reconnaissent qu’elles ont besoin de construire et de maintenir la confiance des consommateurs afin de survivre. Et de là, potentiellement, un rééquilibrage des approches en cours.

Une production plus agile   

Les médias sociaux sont le terreau idéal pour une production plus innovante, plus agile et plus adaptable et, dans le cadre du confinement, nous avons vu tout ce qui peut être fait avec si peu. Animation, utilisations innovantes des banques de contenu, UGC – nous avons déjà vu des marques avant-gardistes adapter leur approche afin de pouvoir continuer à produire des contenus originaux et de qualité. Cette production agile est également visible sur d’autres chaînes : des émissions télévisées en direct comme The Tonight Show avec Jimmy Fallon ont déplacé leurs productions chez les animateurs et des publicités télévisées ont été réalisées dans le cadre du télétravail. Il y aura bien sûr un retour attendu des lieux de tournage et des décors de studio, mais nous verrons probablement des techniques plus sociales développées se maintenir à long terme. 

Les communautés seront renforcées par le social 

Cette crise a mis en lumière de nombreuses inégalités dans notre société, depuis l’impact disproportionné sur les minorités et le mauvais traitement des travailleurs de soutien jusqu’aux inégalités mondiales. Mais nous avons également vu des communautés se rassembler pour utiliser leurs voix collectives avec plus de confiance. Le social a été un élément moteur dans ce domaine, de la communauté Twitter qui fait pression sur les gouvernements et les entreprises, qui organise des applaudissements hebdomadaires pour le Service National pour la Santé (NHS) et le personnel soignant, à ceux qui utilisent des groupes communautaires engagés sur Facebook et WhatsApp pour se soutenir mutuellement. Nous ne sommes plus disposés à accepter le statu quo. L’utilisation des médias sociaux comme moyen de pression et de changement social n’est pas nouvelle, mais après cette crise, les communautés se verront rappeler qu’il est possible de faire la différence ensemble. Le rôle des marques et des réseaux sociaux est ici de reconnaître que les gens chercheront à changer et de favoriser les discussions. 

Conclusion

Ces changements seront également facilités par le fait que des technologies que beaucoup de gens n’utilisaient auparavant que pour le travail sont devenues pertinentes dans notre vie personnelle. Cela pourrait-il donner à un groupe plus large de personnes un sentiment de confiance dans la technologie qui se répercutera dans d’autres domaines ? Il se pourrait que le Covid-19 finisse par être le point de basculement de l’IA et de la VR vers le courant dominant.

Les marques qui commencent à réfléchir à la sortie de la crise de Covid-19 maintenant seront mieux placées que celles qui ne le font pas pour impulser des tendances et en sortir plus fortes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’inconnues, mais au moins nous avons quelques stratégies dans nos manches pour naviguer sur des eaux inconnues…