Le magazine Stratégies en fait un sujet dans son dernier numéro : le vaccin est partout sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines, du selfie vaccinal aux profils Twitter stipulant fièrement « J’irai me faire vacciner ». 

Kenza Bensaid, Analyste senior social intelligence et Jean-Baptiste Bourgeois, Directeur du planning stratégique chez We Are Social, se sont penchés sur cette tendance et la représentation de la vaccination sur les réseaux sociaux.

UNE TENDANCE PLUTÔT AUX ÉTATS-UNIS  

(12M mentions autour du vaccin en avril dernier) 

Nous avons pu observer énormément de selfies vaccinaux sur les réseaux sociaux ces dernières semaines, surtout aux US, car la population jeune et connectée a tout de suite été vaccinée là bas. 

Au-delà du selfie, “à la Véran” ou “à la Castex”, c’est aussi la carte de vaccination, avec les différents tampons des deux vaccins, qui a été partagée massivement en storie sur Instagram ou sur Twitter aux States.

De plus en plus, nous avons pris le réflexe de documenter n’importe quel élément de notre vie qui peut nous rendre fier(e)s.

Dans un souci citoyen, il semble important de montrer (toutes générations confondues) qu’il est essentiel de se faire vacciner, qu’il n’y a pas autant de risques que ce que l’on peut lire sur les réseaux sociaux. 

Lorsque l’on se penche sur la tendance des hashtags émergents, on observe qu’il existe un réel clivage entre les “proud vaccinated” ou les “wannabe vaccinated” (#getvaccinated compte 32K mentions, #vaccineswork 28K sur le dernier mois) versus les “antivax”, qui se trouvent majoritairement en France (#touchepasamesenfants ou #stoppasseportsanitaire connaissent une progression de 100% en nombre de mentions en France).

Dans cette volonté de sensibiliser les populations sur la nécessité de se faire vacciner, des évènements tels que le VAXLIVE, porté par des personnalités publiques comme Selena Gomez (223m d’abonnés), participent à promouvoir les campagnes de vaccination  outre-atlantique. C’est un des premiers exemples de campagnes pour la VAX equity où des personnalités publiques du monde de l’entertainment ou des personnalités politiques (comme Joe Biden) joignent leur voix afin de lever des fonds pour les pays les plus démunis, mais aussi pour sensibiliser les plus récalcitrants à passer le pas. Le social média sert alors de catalyseur pour porter ce message et lui donner de la résonance. 

UN OEIL SUR LA FRANCE

(1M mentions autour du vaccin en avril) 

Nous avons réalisé un mini-audit de perception sur Twitter autour des trois vaccins Astrazeneca, Moderna et Pfizer en France :

Astrazeneca (151K mentions en France, le dernier de la classe) 

51% de mentions négatives : qui peuvent s’expliquer par la psychose autour du vaccin et de ses effets secondaires, notamment les risques de thromboses et les anomalies de coagulation 

41% de mentions neutres : la balance bénéfices/risques du vaccin et la remise en contexte de chiffres ultra-alarmistes 

8% de mentions positives : ceux qui mettent en évidence les risques marginaux du vaccin et ceux qui affichent fièrement le fait de s’être fait vacciner. 

Moderna (51K mentions en France le mois dernier, une perception mitigée) 

58% de mentions négatives : qualifié avec Astrazeneca de “mal aimés” par les français 

33% de mentions neutres : mais paradoxalement aussi qualifié de frère jumeau de Pfizer :  même efficacité, même sécurité. Les utilisateurs se font les avocats du vaccin pour rétablir sa réputation entachée. 

9% de mentions positives : comme pour Astrazeneca, portées par les défenseurs du vaccin, souvent des personnes qui se sont fait vacciner et qui ne font état d’aucun effet secondaire. 

Pfizer (147K mentions en France le mois dernier, supposément la Rolls Royce des vaccins, les mentions font état du contraire) 

50% de mentions négatives : des injections d’eau salée à la place du vaccin dans plusieurs centres de vaccination 

37% de mentions neutres : les utilisateurs trouvent l’augmentation du prix des vaccins scandaleuse et pointent du doigt l’opportunisme du labo. 

13% de mentions positives : l’efficacité et le caractère infaillible des effets du vaccin (91% plus efficace) 

On voit déjà arriver une vague de memes, de “proud selfies” ou encore de partages de fiches de vaccinations de la sécurité sociale en France… une tendance qui va s’amplifier à partir du moment où les populations plus jeunes, et donc plus “social media”, seront elles aussi vaccinées.

Mais les selfies sont aussi largement publiés par les quadras en France, à l’image des photos d’Olivier Véran et Jean Castex en pleine séance de vaccination qui ont fait la Une des journaux.

UN SELFIE COMME UN ACTE CITOYEN ET POLITIQUE 

C’est la première pandémie que l’on vit à l’ère des réseaux sociaux, c’est la première pandémie que l’on vit dans nos démocraties, c’est la première pandémie où chaque décision, chaque mesure, chaque point de vue partagé a des conséquences politiques.

Mettre un masque, obéir, respecter les confinements, partager les comparaisons faites entre les risques de thromboses liées à la prise de la pilule contraceptive et ceux de l’injection d’Astrazeneca sur Twitter… tout ça est devenu presque politique.

De la même manière, le selfie vaccinal est donc aussi devenu un geste politique : on prend position en faveur de la vaccination – sur les réseaux sociaux – là où elle a été de nombreuses fois contestée, là où de nombreuses fake news continuent de faire rage.

S’afficher fièrement comme étant protégé n’est pas une position nihiliste, c’est aussi participer à l’effort collectif en faveur d’un retour à la normale.

PROS, COMPLOTISTES… ET ÉPIDÉMIOLOGIX

Dans sa dernière édition, le magazine Society a réalisé tout un sujet sur les “épidémiologix”  de Twitter : ceux qui, du jour au lendemain, se sont sentis assez concernés pour cliquer sur quelques liens, semblant leur avoir conféré un diplôme tout à fait crédible d’épidémiologistes confirmés.

Ces derniers ont un avis sur le fait de se faire vacciner ou pas, mais ont aussi établi une hiérarchie entre les différents vaccins, avec memes à l’appui forcément.

Les labo y sont jugées comme machiavéliques et sont au cœur des théories du complot, à l’image de Pfizer, du fait d’avoir développé un vaccin à acide nucléique, dont l’utilisation n’a encore jamais été approuvée pour les humains, ou encore Astrazeneca du fait de ses risques accentués de thromboses

DES LABOS, MAIS SURTOUT DES MARQUES 

D’un point de vue du “klout” social media de ces marques, forcément toutes ces conversations organiques, tous ces avis bons ou mauvais, ont un effet sur l’allégeance et la préférence des consommateurs pour tel ou tel laboratoire.

Jusqu’à créer une véritable guerre des marques (entre Pfizer, Astra, Moderna, etc.) qui pourra avoir un réel impact sur la réussite économique et la confiance qu’on leur donnera demain. 

Pfizer vs. Astrazeneca, c’est un peu un Pepsi vs. Coca-Cola à son échelle.

Derrière ces conversations sociales, ce sont des marques, des entreprises, des rentabilités, et des cotations en bourse, de la confiance… qui évoluent au gré des avis publiés.

Les différents camps s’affrontent avec les mêmes formats, les mêmes grammaires sociales, les mêmes templates de memes sur Twitter… mais pour défendre des idées ou points de vues diamétralement opposés.

Il y a une bataille de memes, en parallèle d’une bataille de marques, en parallèle d’une vraie guerre contre le virus.

Attention toutefois à la tyrannie de l’impression.

Parfois, nous avons l’impression d’avoir vu et revu de nombreuses fois la même news partagée sur Twitter, nous laissant à penser alors que l’information prend de plus en plus de poids  – alors qu’en fait, il s’agit simplement de la même dépêche AFP partagée par des titres plus ou moins “putaclic”. Cela peut fausser complètement notre perception, sans que l’on s’en rende compte…