TWITTER, LE LONG COMBAT DE MUSK

Harvey Cossell, strategy director chez We Are Social au Royaume-Uni, nous explique sa vision pour l’avenir de Twitter et les conséquences du rachat de la plateforme par Elon Musk. 

Impossible que vous soyez passés à côté du rachat de Twitter par Elon Musk, pour la modique somme de 44 milliards de dollars – une somme qui peut sembler excessive, 

mais on peut faire confiance à Musk pour ses prises de décisions réfléchies en matière de sujets financiers… après tout, ce n’est pas pour rien qu’il est l’homme le plus riche du monde !  

En effet, l’entrepreneur milliardaire présent sur Twitter depuis 2009 et comptant plus de 90 millions d’abonnés, a déclaré que la plateforme avait un « potentiel énorme » et des perspectives extrêmement intéressantes.

Ces perspectives pourraient découler de la relation amour-haine qu’entretient Musk avec la plateforme – il est un critique virulent de ce qu’il perçoit comme une politique de gauche, et appelle désormais à des changements, notamment à la suppression de la modération du contenu et à la priorité donnée à la liberté d’expression en tant qu' »impératif sociétal ». 

Cependant, Musk ne doit pas fermer les yeux sur le fait que son désir personnel d’absolutisme en matière de liberté d’expression ne conviendra pas à tous les utilisateurs de la plateforme. En fait, il ne conviendra probablement pas du tout à la plupart des gens.

Les twittos pourraient ne pas aimer ce que Musk considère « bon » pour eux.

De nombreuses personnes ont croisé un nombre incalculable de messages haineux et peu recommandables sur Twitter (comme sur tout autre média social). Le problème central reste que ces messages malveillants ne sont pas contrôlés, majoritairement car ils sont hébergés dans des chambres d’écho ou “bulles d’informations » qui font remonter les informations seulement liées à nos préférences, détectées grâce aux algorithmes.

Il y a peu, Twitter s’est attaqué à ce problème en limitant la liberté d’expression des utilisateurs et en clôturant les comptes qui allaient trop loin en matière de conduite haineuse. Ainsi, Elon Musk, qui considère la liberté d’expression comme le fondement d’une démocratie fonctionnelle, pourrait essayer de briser ces règles pour faciliter un débat plus large. 

Le milliardaire est sûrement persuadé que confronter des opinions différentes peut avoir des effets positifs sur les individus… ou peut-être que sa prise de position est basée sur l’expérience amère d’avoir été condamné à une amende de 40 millions de dollars pour un seul tweet, ou encore d’avoir fini au tribunal pour diffamation concernant certains de ses nombreux commentaires offensants

Quelle que soit sa véritable motivation, changer les règles de liberté d’expression pourrait poser de sérieux problèmes compte tenu du contexte du mode de comportement actuel de la plateforme.

Les utilisateurs sont généralement guidés par leurs intérêts : ils suivent leurs passions, les personnes qu’ils admirent, les sujets qui les intéressent. Dans ce modèle comportemental, tout débat se déroule généralement entre des personnes ayant une idéologie largement similaire.

En sortant de leur bulle d’information, surfer sur Twitter peut devenir une expérience rafraîchissante et intéressante, mais cela peut aussi devenir très stressant, en un rien de temps. Les opinions rencontrées peuvent être alarmantes ou choquantes, mais si Musk veut que Twitter soit une véritable “place publique », c’est peut-être exactement de cette manière qu’il compte y parvenir…

À cette fin, s’il devait rendre l’algorithme open-source et briser les bulles d’information, toutes les opinions – y compris les discours de haine – seraient exposées au grand jour, mais potentiellement maintenues sous contrôle par la communauté au sens large, grâce aux débats et aux discours.

La question évidente est de savoir si la communauté participera ou non, si elle se reconnaîtra dans ce climat de débat constant. Cela pourrait être une bonne chose pour la démocratie, mais aussi un énorme casse-tête pour les utilisateurs qui veulent simplement faire défiler les tweets de leurs utilisateurs favoris…ou bien cela pourrait tout simplement se transformer en un horrible débat polarisé.

Musk doit également tenir compte de l’état d’esprit en matière de réglementation, qui, à l’échelle mondiale, adopte une approche fragmentée mais généralement plus mature et fixe pour protéger les utilisateurs tout en limitant la désinformation et les discours de haine. En effet, ses actions sur Twitter pourraient même accélérer ces réglementations.

Faire en sorte que Twitter reste unique parmi les autres plateformes

Des questions plus profondes se posent également quant à l’orientation que Musk donne aux fonctionnalités et caractéristiques supplémentaires de Twitter. Les plateformes ont tendance à évoluer lentement, en observant et en surveillant les réactions des utilisateurs au fil du temps, puis en les adaptant et en les testant en conséquence. 

En apportant des changements à Twitter du jour au lendemain, on risque d’intégrer les préjugés d’un milliardaire blanc américain dans une plateforme qui a su rester à l’écoute de sa communuaté et qui a lentement évolué pour répondre aux besoins de millions de personnes dans le monde entier.

C’est pour cette raison que Musk doit veiller à préserver l’identité, l’interface utilisateur et les fonctionnalités qui permettront à la plateforme d’atteindre 340 millions d’utilisateurs d’ici 2024. Elon Musk a déjà évoqué l’idée d’autoriser des tweets plus longs et d’introduire la possibilité de les modifier après leur publication, ainsi que de faire payer l’accès aux entreprises.

Mais fusionner des propositions ou copier des fonctionnalités d’autres plateformes ne pourrait conduire qu’à une homogénéisation du marché, ce qui n’est jamais une bonne chose. 

Il y a encore beaucoup de raisons de se réjouir !

Toutefois, une analyse générale et sur le long terme ouvre des perspectives d’autant plus intéressantes. 

Par exemple, étant donné la propension de Musk à s’impliquer dans de nombreux projets technologiques, qu’est-ce qui l’empêche d’utiliser l’expertise cachée de Twitter pour créer quelque chose de nouveau ? 44 milliards de dollars, c’est une somme étonnante pour un simple pari, pour une simple acquisition de plateforme – et cela pourrait signifier des ambitions beaucoup plus larges pour concurrencer Meta ou Google avec un portefeuille de plateformes complémentaires, ou même une toute nouvelle plateforme ! 

Après tout, Musk est déjà cofondateur de Neuralink, qui développe des interfaces cerveau-machine pour connecter les humains et les ordinateurs : une vision audacieuse qu’il peut imaginer sur Twitter après quelques ajustements fonctionnels, par exemple.

Bien sûr, cette analyse n’est que spéculation (et ça fait partie du plaisir !). Mais quelle que soit notre opinion personnelle sur Musk, personne ne peut nier ses prises de décisions réfléchies et ses solutions visionnaires ! 

À suivre, donc…

Anthony Boucharel, analyste social intelligence chez We Are Social en France, a de son côté étudié les conversations sur Twitter et quelques données chiffrées concernant le rachat de la plateforme par Elon Musk : 

Tout a commencé le 4 avril dernier, alors qu’Elon Musk, iconique patron de Tesla et SpaceX, rachète plus de 9 % des actions du réseau social Twitter.

Puis le 14 avril, autre moment clé de la saga Musk / Twitter. Elon Musk propose de racheter Twitter dans sa globalité. L’annonce fait grand bruit et relance un cycle de conversation important en ligne tant de la part des médias que des utilisateurs lambdas. 

Le point culminant des conversations est néanmoins atteint les 25 et 26 avril après l’annonce du rachat de Twitter pour plus de 43 milliards d’euros. 

Si, depuis le 4 avril, le sujet a généré près de 240 000 mentions en France sur les réseaux sociaux, cette dernière étape représente 65 % de l’ensemble des publications, soit environ 155 000 messages. 

La liberté d’expression (37K mentions) apparaît comme l’un des principaux sujets évoqués dans les conversations depuis l’annonce du 25 avril.

Une opposition entre défenseurs et pourfendeurs d’Elon Musk s’est matérialisée à travers le hashtag #AdieuTwitter (6K mentions entre le 25/04 et le 26/04). Si ce hashtag était censé mettre en avant les publications d’utilisateurs décidant de quitter la plateforme suite à l’annonce du rachat, il a surtout été utilisé par les pro-Musk afin de moquer les personnes s’inquiétant du futur de Twitter.

« Ce rachat soulève une multitude de questions allant des contenus qui seront présents sur la plateforme aux comptes qui les publieront. Le débat entre pro-Musk et anti-Musk montre également à quel point Twitter est, au-delà d’une plateforme d’expression, un miroir des tensions qui peuvent exister dans la société. Il est également légitime de se demander si les annonceurs voudront continuer à être présents sur cette plateforme si Twitter devait devenir une plateforme où la liberté d’expression devait s’affranchir des règles légales en vigueur et où tous les propos seraient autorisés.Le rachat de Twitter par Elon Musk ouvre donc un nouveau chapitre pour le réseau social qui pourrait conduire à des tensions encore plus exacerbées entre les différentes communautés présentes sur la plateforme. Enfin, ce débat met également en avant les différentes interprétations de ce qu’est et doit être la liberté d’expression en ligne. », conclut Anthony Boucharel.