Plus que jamais, le jeu vidéo se raconte sur YouTube

Nathan Pillot, Planneur Stratégique chez We Are Social, s’est penché sur le sujet du gaming narratif. Comme déjà évoqué dans l’ADN, il revient ici sur l’observation et l’analyse d’un format Youtube qui offre au spectateur une expérience narrative inédite.

Quand on était gamins, et qu’on allait jouer à la console chez un pote, une question se posait : est-ce qu’on allait vraiment jouer, ou simplement regarder le dit ”pote” tenir la manette pendant 3h : regarder son pote, sur le papier, c’était la loose. 

Perso, être viewer ça ne m’a jamais dérangé, et je suis loin d’être le seul : comme 200 millions de viewers quotidien, je regarde des contenus gaming sur YouTube, et je fais souvent partie 2,5 millions d’utilisateurs connectés à chaque instant sur Twitch.

La sphère culturelle du jeu vidéo est de loin l’une des plus prospères de la décennie, tant en termes de volume qu’en termes de diversité. En 2022, plus de 10 000 jeux ont été publiés sur la plateforme Steam, 11 millions de nouveaux streamers et streameuses ont fait leurs débuts sur Twitch et le hashtag #tiktokmademeplayit continue d’amasser toujours plus de recommandations. 

Le renouveau des contenus YouTube gaming vient du storytelling et de créateurs spécialisés 

Avec cet engouement, le contenu jeu vidéo est tenu d’évoluer et de se réinventer, particulièrement sur YouTube. Peu de gens ont désormais le temps de regarder 15h de let’s play comme ceux de Squeezie en 2015. Et s’ils en avaient envie, ils iraient sur Twitch, bien plus interactif. Il est nécessaire pour ceux qui pensent le contenu d’innover pour surfer sur ces nouveaux usages et trouver leur audience.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle manière de vivre le jeu vidéo prolifère et s’impose de plus en plus depuis maintenant quelques mois. Une forme de narration du genre, plus ‘passive’, dans laquelle les audiences font le choix de vivre le jeu au travers d’une seconde lecture et sous une nouvelle forme narrative. Des voix bien posées, quasi radiophoniques, un montage dynamique mais qui reste contemplatif, et surtout des histoires bien écrites… voici les traits principaux du gaming narratif que l’on voit fleurir un peu partout sur YouTube (et en format court sur TikTok & YouTube Shorts). Une nouvelle manière d’expérimenter ce divertissement, un nouvel eldorado pour ces viewers que nous évoquions plus tôt, et définitivement une tendance qui s’inscrit dans l’augmentation de la durée des formats longs sur les plateformes constatée depuis plusieurs années.

Se dire que cette typologie de contenu se cantonne à la catégorie des jeux narratifs serait une erreur : il s’étend à toutes les sphères culturelles gravitant autour du jeu vidéo, les rendant accessibles à de nouvelles audiences. Ici, tout le monde trouve son compte, avec des formats sur Youtube qualitatifs où le storytelling est roi.

La chaîne de @Kombo vous permettra de comprendre l’histoire du speedrun d’HitMan le plus fou de tous les temps, @Thegreatreview vous fera vibrer avec son histoire de la folle intrigue d’Outer Wilds, @EdwardRetroDécouverte vous racontera à quoi ressemblait Digimon World, sorti en 1999.

L’esport n’est pas en reste, avec par exemple la dernière vidéo de @Ego_one qui vous permettra de découvrir l’ascension de la Karmine corp sur la scène Rocket League, connaître les joueurs, leur histoire et les actions les plus skillées de leur parcours.

La narration est rythmée, la tension se construit tout au long de la vidéo, et les extraits des matchs avec les commentaires originaux donnent une impression d’authenticité. On vibre sur toute la durée de l’histoire. Même Kameto, propriétaire de la Karmine Corp, a revécu en live l’histoire de sa propre équipe lors du Winter Major de Rocket League 2022-2023. Une dynamique que le créateur a lui-même encouragé en créant une chaîne secondaire, Ego React, dédiée aux vidéos de streamers réagissant à son contenu.

Ce qui façonne le jeu vidéo aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les éditeurs, mais aussi la communauté de créateurs qui se l’approprient pour créer de nouveaux formats. Avec ces innovations naissent de nouvelles passions et de nouveaux usages, donnant à la forme d’entertainment reine de ces dernières années encore plus de profondeur. 

Une nouvelle forme de narration qui bouscule la creator economy

En terme de “creator economy”, ces business models sont particuliers. Comme l’évoque @Thegreatreview dans son interview chez Zack Nani, ces formats demandent un grand volume de travail et d’écriture au préalable, ce qui diminue le rythme de publication dans une sphère social media ou la prolifération de contenu est encore indispensable (et par conséquent génère assez peu de revenus).

Ces formes de narration en elle-même ne sont pas nouvelles, et ne sont surtout pas exclusives au secteur du jeu vidéo : le secteur du cinéma ou de la musique sont aussi friands de ce genre de contenus depuis longtemps. La différence ici vient de la matière première. Dans un jeu vidéo, le joueur n’est pas que spectateur, il est acteur : il peut diriger la caméra, réaliser des choix qui influent sur le cours de l’histoire, et peut même décider de chercher à “casser” le jeu en utilisant des bugs ou des glitchs. Cette liberté permet aux créateurs de se réapproprier les œuvres à leur manière et de proposer sans cesse de nouveaux niveaux de lecture et formes de gameplay. 

Il est intéressant de noter la croissance exponentielle de ces formats donc, dans un paysage social media où ces longues narrations n’étaient pas du tout la norme. Chaque jour, de nouvelles chaînes se lancent pour raconter toujours plus d’histoires passionnantes autour des jeux vidéo. Un bol d’air frais pour un paysage culturel longtemps limité (du moins en apparence) aux montages de gameplay et best-ofs Twitch … 

On est en droit de se demander quelle sera la prochaine étape ! Difficile à prévoir. Ce qui est certain, c’est qu’elle passera par l’amélioration de l’expérience de viewership, et qu’elle sera le fruit d’un effort conjoint des éditeurs, des plateformes et des créateurs qui les font vivre au quotidien. 

Les marques, elles aussi, ont un coup à jouer dans le soutien de ces créateurs pour lesquels la monétisation est difficile. Mais plutôt que par les collaborations classiques, d’un #ad et d’une pastille d’une minute au début de vidéo, elles ont ici l’opportunité de co-créer des contenus pensés pour ce type de narration. Plus que jamais, ici, l’important sera d’être au service de l’intégrité de l’identité de la ligne éditoriale du créateur.