LA TREND SOCIAL MEDIA, NOUVEAU MOTEUR DE PERFORMANCE EN F1? 

En 2026, la Formule 1 entrera dans une nouvelle ère : nouvelle réglementation technique concernant les voitures, changement dans le format des courses, nouvelle équipe dans le paddock (Cadillac). Autant de changements pensés pour accompagner un sport en perpétuelle réinvention et répondre à des fans dont les attentes ont fortement évolué. Impossible non plus de ne pas voir l’ombre de Drive to Survive (DTS), la série documentaire de Netflix sur la Formule 1, dans l’apparition de ces nouvelles pratiques de consommation. Les réseaux sociaux, pierre angulaire de la communication de l’ensemble des acteurs du paddock (équipes, pilotes, sponsors) ont également joué un rôle majeur dans ces mutations. À travers les nombreux posts qui ont émané sur les réseaux ces dernières années, une typologie de publications semble se démarquer : celles reprenant des trends sociales. Purs produits des réseaux sociaux, humoristiques et accessibles, comment ces contenus sont devenus partie intégrante de la communication des équipes en Formule 1, traditionnellement orientée vers le professionnalisme et la performance ? 

Depuis plusieurs années, un constat s’impose en parcourant les feeds Instagram et TikTok des 10 écuries qui constituent la grille de Formule 1 : les contenus s’appuyant sur des tendances social media, extérieures à l’univers F1, prennent une place grandissante.

Certaines équipes, comme Visa Cash App Racing Bulls (VCARB), ont fait de ces contenus un véritable pilier de leurs communications — un style radicalement différent du professionnalisme et de l’excellence qui ont longtemps dominé les prises de parole des écuries. Un simple chiffre suffit à comprendre l’intérêt croissant pour ces formats : 25 % des 100 posts les plus engageants publiés entre 2021 et 2025, toutes équipes confondues, proviennent de trends issues des réseaux sociaux.

Depuis le rachat de la compétition par Liberty Media en 2017, la Formule 1 – comme son public – a profondément transformé ses modes de consommation, les réseaux sociaux occupant une place de plus en plus importante. La proportion de fans suivant la F1  sur les plateformes sociales a ainsi été multipliée par six depuis 2018. Le profil type du fan est également en mutation : rien qu’en 2025, 43% des fans de Formule 1 étaient âgés de moins de 35 ans, une augmentation de 20% par rapport à 2024. Pour cette génération, les réseaux sociaux sont devenus un point d’entrée incontournable et un levier central dans leur manière de consommer la Formule 1 : près de 50% des 25-34 ont déclaré que les réseaux sociaux étaient essentiels dans leur manière de consommer la Formule 1, une part qui atteint presque 70% pour les 18-24 ans.

Autant d’évolutions qui rendent indispensable une compréhension fine du Social Media et de ses pratiques, où memes et trends deviennent des points d’entrée privilégiés pour un sport longtemps perçu comme complexe et technique, freinant parfois l’engagement de certaines audiences.

Dès lors, en réinvestissant ces codes propres aux plateformes et en utilisant des trends sociales, les équipes viennent nourrir cet écosystème éditorial et parviennent à toucher de nouveaux publics. 

L’exemple de Red Bull est particulièrement révélateur : pour mettre en scène la rétrospective des succès de M. Verstappen en début de saison, l’écurie détourne la trend #TeamConrad et la réutilise à son compte,  pour générer plus de 1,5 million d’engagements sur une simple vidéo de 7 secondes. À l’inverse, lorsqu’en 2023, la marque célèbre sur Instagram les doubles succès de ses pilotes via une publication beaucoup plus sobre, l’engagement chute de 80%.

Ces publications contribuent également à réhumaniser les pilotes, souvent perçus comme des figures quasi surhumaines aux capacités exceptionnelles, un statut qui peut accentuer la distance avec le public. Grâce à des formats face caméra, captés en one-shot et sans montage, les pilotes se montrent sous un nouveau jour : authentiques, plus spontanés, accessibles, libérés des injonctions classiques de la communication RP. 

Grâce à leurs tons légers, ces publications sont également un moyen de soigner, du moins en apparence, les relations entre pilotes. McLaren a eu à cœur de confirmer tout au long de la saison 2025 un vieil adage qui veut qu’en Formule 1, votre principal adversaire sur la grille soit votre propre équipier. Une tension sur piste qui vise à être gommée sur le compte TikTok de McLaren : en reprenant des trends populaires, les pilotes s’affichent tout sourire dans des moments complices. L’utilisation de formats adaptés aux réseaux et de pistes audio tendance et populaires viennent apporter un vernis de fraternité sur leurs rivalités pour le titre mondial. 

Parfois, le lien entre trends social et Formule 1 est si  fort qu’il dépasse les écrans pour se matérialiser directement dans le paddock. Alors que les coulisses sont habituellement réservées aux stars du cinéma, sportifs de renom et milliardaires, Ferrari a invité en 2021 le créateur de contenu Khaby Lame, suivi par 79 millions de personnes, à passer une journée dans son motorhome lors du Grand Prix d’Italie. Le résultat ? Le second contenu le plus engageant de la marque sur Instagram sur les 5 dernières années, générant près de 6 millions d’engagements, ainsi qu’une place dans le top 3 des contenus Formule 1 les plus populaires toutes marques confondues… tout ça sans aucune référence au monde du sport automobile (pilotes, voitures, etc).

Ferrari, McLaren et Red Bull illustrent parfaitement comment certaines équipes ont su rompre avec la communication professionnelle traditionnelle qui a longtemps dominé le marketing du sport automobile. Grâce à leur performance sur piste, ces écuries figurent également parmi les comptes les plus suivis sur les réseaux sociaux, renforçant ainsi la portée et la popularité de leurs publications.

La réutilisation des trends social media constitue également une stratégie pour les équipes moins performantes, leur permettant de créer une narration parallèle à la compétition et de maintenir un niveau de visibilité satisfaisant — sur les réseaux sociaux du moins. Dans les équipes telles que VCARB ou Alpine, les publications se basant sur des trends populaires représentent plus de 50% des posts présents dans le Top 20 des posts les plus engageants. À l’inverse, ce ratio tombe sous les 25 % pour les équipes les plus performantes des cinq dernières années, telles que Mercedes AMG ou Ferrari.

En 2023, lors du premier Grand Prix de Las Vegas, Alpine et Esteban Ocon décrochent l’une des meilleures performances de la saison, en finissant 4ᵉ lors de la course principale. Toutefois, sur les réseaux sociaux, c’est une courte vidéo totalement indépendante de la course qui devient le contenu le plus populaire des cinq dernières années, en reprenant la trend “Let Him Cook” et générant plus de 2 millions d’engagements sur TikTok. Sur Instagram, cette même vidéo obtient 30 fois plus d’engagement que le premier post célébrant la P4 d’Ocon. Même en cas de victoire, l’utilisation des trends sociales s’avère plus pertinente : une publication reprenant la trend “Giga Chad” le lendemain a généré 3,5 fois plus d’engagement que le post classique célébrant la performance sportive.

L’écurie qui a sans conteste le mieux intégré ces mécaniques est probablement Visa Cash App Racing Bulls (VCARB), notamment depuis le début de la saison 2025. Près de 70% des 20 posts les plus engageants sont directement liés à des trends issues des réseaux sociaux.  Malgré sa 6ᵉ place surprenante au classement constructeur, l’équipe satellite de Red Bull a fait de la réutilisation des trends un pilier de sa stratégie éditoriale. Avec un line-up de jeunes pilotes de moins de 25 ans, VCARB est désormais presque autant attendue sur les réseaux sociaux que sur la piste à chaque week-end de course.

Les formats reprenant des trends sociales sont ici utilisés pour différents aspects de la communication, que ce soit pour la célébration du premier podium d’Isack Hadjar ou encore pour des contenus mettant en avant la culture du Grand Prix. En 2025, l’équipe s’est même approprié la trend #lipsync, très populaire sur TikTok, avec succès : la dizaine de contenus reprenant cette trend cumule plusieurs millions d’engagements et sont à présent devenus des contenus attendus par les fans chaque week-end.

Enfin, impossible d’aborder le sujet sans évoquer les pilotes qui ont fait de l’humour et de l’appropriation des trends social media leur marque de fabrique. Valtteri Bottas (mais nous pourrions aussi citer D. Ricciardo) alors au volant de la Stake F1 Team, s’est davantage illustré sur les réseaux sociaux lors de la saison 2024 que sur la piste. Dans plusieurs contenus ultra-viraux, cumulant plusieurs millions de likes, le pilote reprend à son compte la trend alors très populaire des “slapstick hook” pour faire briller sur les réseaux sociaux une écurie en difficulté  sur la piste (cette année-là, Stake F1 Team sera classée dernier au Championnat constructeur, tandis que V. Bottas sera l’unique pilote à ne pas avoir décroché un seul point au championnat pilote).

2026 annonce sans conteste un tournant majeur pour la compétition reine du sport automobile. Sur la piste sinueuse de la communication social media, la concurrence sera plus disputée que jamais pour conquérir et engager une audience de plus en plus jeune et qui délaisse peu à peu les canaux de diffusion traditionnels pour faire des plateformes le cœur de leurs “fan-experience”. La réutilisation stratégique des trends social media restera un levier clé pour les marques qui souhaitent toucher une audience souvent plus sensible à l’humour et à l’émotion qu’à la seule performance. 

Si la réglementation 2026 vise à niveler le niveau des équipes sur la piste, ces dernières vont devoir redoubler de créativité pour prendre l’avantage sur leurs concurrents et tenter d’exister dans l’écosystème hautement compétitif des réseaux sociaux.

ÉTUDE RÉALISÉE PAR GASPARD MASSOT, ANALYSTE, AGENCE WE ARE SOCIAL